Miyazaki, Spirit of Nature dresse un portrait unique de la vie et de l’œuvre d’Hayao Miyazaki, à travers des archives inédites, des analyses fines et des témoignages exclusifs de scientifiques et de proches du maitre de l’animation japonaise. Réalisé par Léo Favier, le documentaire révèle les ressorts intimes, politiques et écologiques de l’œuvre de Miyazaki.
Depuis son avant-première à la Mostra de Venise 2024, le documentaire rencontre un large succès international auprès des festivals, des distributeurs, des diffuseurs, mais aussi des publics, le studio Ghibli ayant des fans dans le monde entier.
Loïc Bouchet, producteur du film et fondateur de la société Les Bons Clients, ainsi que Christophe Bochnacki, président de la société de ventes internationales Balanga, et Cloë Pinot, International Sales Manager, ont accepté de répondre à nos questions sur ce projet exceptionnel et ambitieux.
Unifrance : Léo Favier dresse un portrait unique de la vie et de l’œuvre d’Hayao Miyazaki à travers des archives, des analyses et des témoignages de scientifiques, de proches et de collaborateurs du réalisateur. Pouvez-vous revenir sur la genèse de ce projet ambitieux ?
Loïc Bouchet : Quand on parle avec Léo Favier pour la première fois, il y a trois ans, de ce projet de film sur Hayao Miyazaki, on contacte le mandataire des films Ghibli pour l’Europe. Ce dernier nous explique qu’il ne faut même pas envisager ce film, car Ghibli est très protecteur de ses œuvres et refuse toutes les propositions d’exploitation de ses films.
Mais on n’a rien lâché. Avec Léo Favier, son co-auteur Léo Brachet, et Emi Hiraoka, Franco-Japonaise devenue entre-temps productrice exécutive de ce documentaire, nous avons mis tout notre cœur, nos convictions et notre éthique pour développer un projet différent, que nous avons envoyé au studio Ghibli, puis que nous sommes allés leur présenter à Tokyo. Nous avons ensuite scellé avec eux un accord exceptionnel, notamment pour utiliser des extraits de tous les films de Miyazaki afin de décrypter son œuvre de manière nouvelle. Nous sommes infiniment reconnaissants envers le studio Ghibli, et honorés de leur confiance.
Le documentaire prend pour point de départ Princesse Mononoké, film charnière dans la carrière d’Hayao Miyazaki, pour explorer ses influences et ses messages politiques et écologiques. Pourquoi ce film s’est-il imposé en particulier comme une clé d’entrée ?
Loïc Bouchet : Princesse Mononoké est un film très important dans l’œuvre de Miyazaki. Non seulement c’est le film qui l’a fait connaître à l’international et partir à la conquête de l’Amérique, le film que Disney voulait distribuer, mais c’est aussi son film le plus écologique, comme le souligne notre intervenant Timothy Morton. Enfin, Hayao Miyazaki a dû faire face à des défis nouveaux et immenses s’il voulait le réussir. C’est pourquoi le réalisateur a choisi ce film pour ouvrir le documentaire sur un climax de la vie et de l’œuvre de Miyazaki, un moment d’une intensité folle pour lui.
©Studio Ghibli
Le documentaire met en lumière la volonté d’Hayao Miyazaki de sensibiliser le public aux dérives de notre monde, et de réinventer notre lien à la nature et aux autres. À travers ce film, souhaitiez-vous également renouveler notre perception de son œuvre et révéler des dimensions méconnues ?
Loïc Bouchet : Nous voulions en effet dépasser le simple portrait de l’artiste et de l’immense réalisateur qu’il est, pour offrir une nouvelle lecture de son œuvre, qui est d’une incroyable modernité et qui fait écho aux enjeux actuels comme la crise climatique et la guerre. Nous voulions aussi permettre au public de mieux comprendre sa vision du monde, qui prône notamment une nouvelle relation entre l’être humain, le monde du vivant et la nature. C’est pourquoi nous avions absolument besoin d’extraits très précis de ses films, pour que des spécialistes de renommée mondiale, issus de différents continents, puissent les décrypter, mais aussi d’archives inédites d’Hayao Miyazaki.
Quelles ont été les principales difficultés – et satisfactions – autour de la production de ce film ?
Loïc Bouchet : Les difficultés ont été fortes et nombreuses, mais les satisfactions n’en ont été que plus grandes. La première difficulté était financière : nous avons dû prendre des risques importants au début de l’aventure. C’est déjà à ce moment-là que le rôle du premier diffuseur européen, Arte, mais aussi de notre distributeur international, Balanga, s’est révélé décisif - tant par le risque financier qu’ils ont pris à nos côtés que par les préventes réalisées par Balanga en cours de production, qui nous ont permis de disposer de moyens financiers à la hauteur de nos ambitions éditoriales. Le fait que le film soit distribué au cinéma, à la télévision et en numérique selon les pays, et qu’il réalise de très belles audiences, est une grande satisfaction pour nous – sans oublier les nombreuses sélections en festivals, notamment en compétition officielle à la Mostra de Venise, fin août 2024.
En explorant la vie et l’œuvre d’un maître de l’animation mondialement reconnu, le documentaire possède un fort potentiel international. Quels sont, selon vous, les éléments qui peuvent séduire aussi bien les exploitants que les diffuseurs et les publics étrangers ?
Cloë Pinot : Tout d’abord, la richesse exceptionnelle des extraits de films de Miyazaki utilisés dans le documentaire constitue un atout majeur. Pour les fans, c’est l’occasion de retrouver leurs personnages emblématiques, de Totoro à Kiki la petite sorcière, en passant par Porco Rosso, et pour les néophytes, c'est une porte d’entrée idéale vers l’univers poétique et foisonnant du cinéaste. Ensuite, l’approche du film se distingue par un angle inédit : tenter de décrypter le message profond qui traverse l’ensemble de son œuvre. Un regard lucide et subtil sur le lien entre l’homme, la nature et le monde animal, porté par une sensibilité écologique omniprésente. Ce message, Miyazaki le transmet avec une finesse rare, capable de toucher aussi bien les enfants que les adultes. Enfin, les témoignages de ses proches collaborateurs – parmi lesquels Toshio Suzuki, Goro Miyazaki ou Hiromasa Yonebayashi – regorgent d’anecdotes inédites, souvent drôles, qui raviront sans doute un large public. C’est cette combinaison d’archives iconiques, d’analyse thématique profonde et de récits intimes qui donne au film son fort potentiel universel.
Les exploitants sont convaincus du potentiel du documentaire en salles notamment parce que le public de fans de Miyazaki est connu pour se déplacer massivement au cinéma à chaque sortie de ses films, en témoigne l’immense succès de son dernier film, Le Garçon et le Héron. Concernant les diffuseurs, ils misent sur la capacité du documentaire à séduire à la fois le public déjà conquis par l’univers Ghibli, mais également les curieux qui voudraient y faire une première incursion en étant guidés à travers les films et leurs inspirations.
Après sa première mondiale à Venise en 2024, le film poursuit un très beau parcours en festivals. Quel bilan tirez-vous de ce parcours international ?
Christophe Bochnacki : Depuis sa première à Venise, le documentaire a connu une carrière enthousiasmante sur la scène internationale, avec plus d’une vingtaine de festivals à son actif. Parmi eux : Animation Is Film à Los Angeles, Animage au Brésil, CPH:DOX au Danemark ou encore DocLisboa au Portugal - autant d’occasions de faire découvrir l’art de Hayao Miyazaki sur grand écran à des publics passionnés.
Parallèlement, plusieurs sorties en salles ont été rendues possibles grâce à des accords conclus avec des distributeurs locaux de renom à Taïwan, en Corée du Sud, en Inde, en Italie, au Benelux… Les premières dates sont déjà confirmées : le 9 mai à Taïwan, puis le 28 mai en Corée. Un engouement qui témoigne du rayonnement universel de l’œuvre de Miyazaki.
Ce succès confirme que les récits de Miyazaki résonnent presque partout dans le monde et transcendent les différences culturelles, ce qui est assez unique. Généralement, les films documentaires consacrés à un artiste ont du succès dans certaines régions du monde, et moins dans d’autres, où l’univers de l’artiste lui-même est méconnu. Avec Miyazaki, c’est différent, il parle à tout le monde ou presque, peu importe l’origine, c’est une immense force.
Comment le film a-t-il été accueilli par les diffuseurs internationaux ?
Christophe Bochnacki : Nous avons été frappés par l'accueil que le marché a réservé au film : de nombreux acheteurs nous ont raconté des histoires émouvantes sur leur film préféré de Miyazaki ou sur les souvenirs qu'ils ont de cet univers magique.
Le documentaire a d’ailleurs été acquis par plusieurs diffuseurs majeurs : Sky au Royaume-Uni, Movistar+ en Espagne, SVT en Suède, DR au Danemark, RTS en Suisse, SBS en Australie… Une reconnaissance qui confirme la portée émotionnelle et culturelle de l’œuvre, bien au-delà du cercle des amateurs d’animation.
Miyazaki a toujours su réunir petits et grands autour de récits universels. Comment expliquez-vous cette force de résonance ?
Cloë Pinot : Hayao Miyazaki a réussi à créer un univers où les enfants et les adultes peuvent se rencontrer, quelles que soient leurs origines ou leurs croyances. C'est incroyablement universel, tout comme son message sur la nécessité de repenser notre relation à notre environnement, car la planète sur laquelle nous vivons a été là avant nous, et sera là après, espérons-le, si nous la respectons et en prenons soin.
De plus, pour ceux qui, comme moi, ont découvert les films de Miyazaki en étant enfant, il y a quelque chose de magique à les redécouvrir en tant qu’adulte. Il y a à la fois une grande nostalgie à retrouver ces personnages, et à la fois un sentiment de découverte. Chacun des films de Miyazaki cache plusieurs niveaux de lecture, et c’est aussi ce qui leur permet de rassembler autant de gens.
©Canal+